(olivia - huit ans - montgomery, alabama)
Il ne comprenait pas. Il avait beau retourné le problème dans tous les sens, il ne comprenait pas. «
M'man ? » demanda-t-il, sourcils froncés, mâchonnant sa lèvre inférieure. Il leva les yeux vers elle pour la découvrir penchée sur lui, tout sourire. Comme si elle savait que quelque chose n'allait pas. En fait, elle savait probablement, c'était sans doute un truc de mamans. Papa en parlait parfois, il appelait ça un sixième sens ou quelque chose du même genre. «
Oui mon chéri ? » répondit-elle, posant le livre qui l'avait absorbée jusque-là. Gaël se secoua et se redressa sur le canapé, fixant sa mère avec sérieux. «
Pourquoi est-ce que les gens divorcent Maman ? » La question ne sembla pas la surprendre mais il se rappela qu'elle connaissait très bien les Taylor, alors elle était peut-être déjà au courant. «
Tu parles des parents d'Olivia, c'est ça ? » Voilà, elle savait déjà. Un soupir souleva sa poitrine et elle souleva un bras, l'invitant à se rapprocher d'elle. Gaël ne se fit pas prier et, bientôt, il se retrouva calé contre sa mère, entouré par ses bras et son odeur. C'était rassurant. «
Il arrive que les gens ne s'aiment plus. Attention, les parents, exclusivement. Ça n'a rien à voir avec les enfants, jamais » souffla-t-elle contre son front. Oh, alors Olivia n'avait rien à craindre. Ils en avaient discuté, un peu, et clairement, elle avait peur. «
Ollie ne va pas se retrouver toute seule alors ? » C'était sa principale inquiétude. Il ne connaissait pas beaucoup les parents de son amie et ne comprenait pas non plus tout ce que pouvait impliquer leur séparation. Il se préoccupait surtout de savoir comment ça influerait sur la vie de sa camarade. «
Non mon cœur, elle ne va pas se retrouver toute seule » Gaël poussa un soupir de soulagement et se relaxa dans les bras de sa mère qui déposa un baiser sur son front. Tant mieux alors. «
Parce que sinon, je peux partager ma chambre avec elle » insista-t-il, arrachant un éclat de sa rire à sa mère.
*(olivia - quatorze ans - montgomery, alabama)
Il ne croyait pas si bien dire, du haut de ses huit ans. La proposition faite à sa mère était à l'époque mignonne, pleine de bons sentiments. Il s'était longtemps inquiété pour son amie lors du divorce de ses parents, lui avait même promis qu'il lui prêterait ses parents si elle avait besoin. Il avait fait le pitre, comme disant Grand-mère, pour la voir sourire un peu parce que cette situation avait plongé la petite brune dans une profonde mélancolie. Mais ça n'avait rien à voir avec le chagrin qu'il lisait à présent dans ses yeux, six ans plus tard.
Lorsque la nouvelle était tombée, elle avait atterri chez les LeBlanc parce qu'ils étaient ce qu'elle avait de plus proche comme famille. Aucun lien de sang, c'est vrai, mais les deux couples avaient longtemps été très amis et après le divorce, les parents de Gaël étaient restés en très bons termes autant avec la mère d'Olivia qu'avec son père.
«
Je comprends pas » Ils étaient dans la chambre de Gaël alors qu'en bas, les gens allaient et venaient, présentaient leurs condoléances aux LeBlanc. Elle s'était réfugiée à l'étage sitôt rentrée du cimetière, refusant d'affronter tous les proches. «
C'est tellement ridicule. Personne ne perd ses parents en même temps » Elle n'avait pas pleuré une seule fois encore mais Gaël la connaissait par cœur. Olivia allait finir par craquer et il ne voulait pas qu'elle soit seule lorsque ça arriverait. «
Tu veux que je te dise ? » Appuyée contre son torse, elle releva la tête pour le regarder, les yeux brillants de ses premières larmes. «
Le destin est un putain de connard » Et elle fondit en larmes, secouée par de violents sanglots. Sans un mot, Gaël l'attira de nouveau à lui, l'entoura de ses bras et enfouit son visage dans la masse de ses cheveux bruns. «
Je t'aime Ollie. Je suis là » souffla-t-il contre ses cheveux. Il ne lui disait jamais ces choses-là, prétendait qu'elle les disait assez pour deux mais la vérité, c'est qu'il avait toujours eu peur de prononcer ces trois petits mots. Peut-être qu'il était un peu amoureux d'elle au fond, et c'était tellement étrange, tellement mal. Ils se connaissaient depuis toujours, les gens les prenaient pour des frère et sœur. «
Je veux pas partir. Ils vont m'envoyer dans un foyer, je veux pas y aller » Ils, les services sociaux. «
Je les laisserai pas t'emmener. Promis » Comme s'il y pouvait quoi que ce soit. Mais pour Olivia, Gaël aurait fait n'importe quoi.
*(olivia - dix-sept ans - sail bay, alabama)
Elle était partie finalement. Pas dans un foyer mais dans une famille d'accueil à l'autre bout de l'état. Les adieux avaient été difficiles mais ils s'étaient promis de rester en contact. Le genre de promesses qu'on fait souvent mais qu'on tient rarement. Pas pour eux. Ils ne s'étaient revus que trois fois depuis la mort des parents de la jeune fille, pour chaque été qui avait suivi, se contentant entre chaque de longues lettres, d'une foule de textos et de nombreuses heures passées sur Skype. Jusqu'à ce fameux matin d'Août. Il n'avait rien dit à propos du déménagement, ni même la vente du restaurant familial, se contentant d'évoquer la maladie de sa mère. Il avait tout gardé pour lui, difficilement bien sûr parce qu'il ne savait pas mentir à Olivia. Leurs appels s'étaient espacés, il l'avait un peu ignorée aussi, ce qui n'avait pas dû lui plaire. Alors il appréhendait un peur leurs retrouvailles.
C'était lui qui était venu à Sail Bay, cet été puisque l'année dernière, elle était venue à Montgomery. A l'époque, il savait déjà qu'il emménagerait là avec ses parents et si les circonstances de ce déménagement ne l'enchantaient guère, ça avait rendu la séparation avec sa meilleure amie plus facile.
C'est de bonne humeur qu'il quitta l'imposante maison achetée par ses parents. Ollie vivait à quelques rues de là à peine, aussi ne prit-il pas la peine de prendre sa voiture. Il trouva la maison de sa famille d'accueil sans problème et frappa trois fois avant d'enfoncer les mains dans ses poches en sifflotant. Il était ridicule mais il était heureux et il n'avait qu'une hâte : voir Olivia. Par bonheur, c'est elle qui ouvrit la porte. Surprise, elle resta un instant figée avant de cligner plusieurs fois des yeux, sans doute perdue. «
Qu'est-ce que tu fais ici ? Oh mon dieu, c'est ta mère, c'est ça ? Mais tu aurais pu m'appeler pour me- ce n'est pas ta mère, sinon tu ne sourirais pas comme un débile. Qu'est-ce qui se passe Gaël, qu'est-ce que tu fais là ? » Elle fronça les sourcils, inquiète et posa les mains sur ses hanches. «
Mes parents ont acheté une maison dans le coin alors je me suis dit que ce serait sympa d'aller faire un tour dans le quartier et- » Elle lui sauta au cou en hurlant, ce qui fit rire Gaël. Avec Olivia, la discrétion n'était jamais au rendez-vous.
«
C'est pour ça que tu ne répondais plus à mes sms ? » demanda-t-elle un peu plus tard, lorsqu'ils furent installés sur la balancelle sous le porche. Gaël hocha la tête, un sourire tendre aux lèvres. «
Je voulais que ce soit une surprise et, euh, tu sais que je sais pas te mentir » Olivia ricana, tout à fait d'accord apparemment. Depuis le temps qu'ils se connaissaient, elle avait toujours pu voir au travers des quelques mensonges qu'il avait tenté de lui raconter. Elle était forte, très forte. «
Je t'aime » souffla-t-elle en posant sa tête sur l'épaule de Gaël. A moment donné, il aurait donné cher pour entendre autre chose dans ce genre de confessions. Il aurait voulu qu'elle le voit autrement, qu'elle voit plus en lui que son meilleur pote mais c'était terminé. Il avait tourné cette page-là mais merde, la retrouver était décidément la meilleure chose qui lui soit arrivée ces derniers temps.
*(astrée - dix-neuf ans - sail bay, alabama)
Olivia l'avait retrouvé assis sur le plan de travail, dans la cuisine, un sourire béat flottant sur son visage. Il ne lui avait pas fallu cinq minutes pour lui arracher ce qui venait de se passer et, évidemment, elle s'était esclaffée. «
Ses chaussures ? Tu lui as parlé de ses chaussures ? » Il haussa les épaules avant de porter la canette de bière à sa bouche. C'était la première chose qui lui était venue à l'esprit. Enfin, non. Il aurait pu parler de ses yeux ou de son sourire, mais on ne complimentait un inconnu là-dessus. «
C'est ridicule, décréta Olivia d'un ton qui n'attendait pas de réponse,
je veux danser. Tu viens ? » Là encore, elle n'attendit pas qu'il accepte pour prendre sa main et l'entraîner, lui et sa bière sans alcool («
Tu te fous de moi ? » avait-elle hurlé en voyant ce qu'il buvait et il avait eu beau lui avoir déjà expliqué maintes et maintes fois qu'il n'était pas un grand adepte de l'ivresse, elle continuait de se moquer de lui). Ils rejoignirent la piste de danse improvisée, au salon. Là, nulle trace de la masse de cheveux bouclés qui avait traversé son champ de vision avant que leur propriétaire ne s'extasie sur son tee-shirt. Gaël se tordit le coup pour tenter de l'apercevoir, le cherchant sur les canapés et dans les quelques coins où personne ne dansait. Olivia s'aperçut de son petit manège et elle attrapa son visage des deux mains, l'orientant vers elle. «
Du calme Roméo, tu vas le retrouver. C'est une petite ville tu sais » le rassura-t-elle. Ses mains trouvèrent les hanches de son amie et il acquiesça, se laissant pour le moment porter par la musique.
*(astrée - vingt à vingt-trois ans - sail bay, alabama)
Il s'avéra que Bouclettes (surnom trouvé par une Olivia très fière d'elle) était le frère de l'une des camarades de classe de Gaël. Le retrouver fut donc chose aisée et avant de s'en rendre compte, le garçon avait doucement trouvé sa place dans sa vie. Gaël avait compris très tôt qu'il aimait autant les hommes qu'il aimait les femmes mais il n'était jamais allé au-delà d'une simple nuit avec qui que ce soit. L'idée même d'entretenir une relation amoureuse avec quelqu'un le terrifiait mais il se surprenait à y penser de plus en plus, chaque fois qu'il retrouvait Astrée pour aller au cinéma ou boire un café. Ils étaient proches, plus plus proches que Gaël ne l'était avec le reste de ses amis, Olivia exceptée, mais il avait envie de plus. Il voulait prendre sa main lorsqu'ils marchaient dans la rue, il voulait l'embrasser chaque fois qu'il riait. Il le voulait pour lui, rien que pour lui et il voulait que ce soit officiel.
Ce moment, il l'avait imaginé des dizaines de fois. Il était même allé jusqu'à répéter ce qu'il voulait dire devant un miroir et lorsqu'Olivia l'avait surpris, une fois l'hilarité passée, elle lui avait servi de cobaye. Il voulait que ce soit parfait, sérieux sans trop l'être. Effrayer Astrée était la dernière chose qu'il désirait. Ils étaient jeunes et ils ne se connaissaient pas encore parfaitement mais Gaël était sûr de lui. Ce fut relativement facile, bien plus qu'il ne l'avait envisagé ou même rêvé. Tout, au final, semblait facile avec Astrée, comme si ça avait été écrit. Gaël ne croyait pas vraiment à ces choses-là, enfin pas avant de croiser la route de son petit-ami. Mais il fallait croire que seuls les imbéciles ne changeaient d'avis.
Longtemps il avait cru qu'il n'aimerait jamais quelqu'un aussi fort qu'il avait pu aimer Olivia. Il l'aimait encore, mais différemment. Elle était son double, sa meilleure amie. Avec Astrée, ce n'était pas la même chose. Avec Astrée, Gaël s'était découvert. On le disait indépendant mais il ne pouvait plus passer un jour sans ne serait-ce qu'entendre la voix de son petit-ami. On le disait blagueur et futile, mais avec Astrée à ses cotés, il songeait de plus en plus à l'avenir, à un appartement avec lui, et plus encore. Il était tombé amoureux presque sans s'en apercevoir et lorsqu'il avait compris, il n'avait pas pu garder ça pour lui. Puis était venue la peur, la crainte que ce ne soit pas si réciproque que ça, la crainte de l'étouffer aussi. Il avait eu peur de trop en demander mais encore une fois, Astrée l'avait rassuré.
En quelques années, il était devenu une pièce maîtresse de la vie de Gaël. Il comprenait sans mal tout ce qui lui passait par la tête, il supportait les réflexions et les blagues d'Olivia, il avait trouvé sa place dans sa famille mais encore une fois, ça n'était pas assez. Gaël voulait plus, il voulait de l'officiel, du vrai, du beau, du long-terme. Ses parents avaient été enchantés d'apprendre qu'il s'était décidé à demander son petit-ami en mariage et si Olivia avait tenté de tourner ça en ridicule, elle était clairement heureuse pour lui.
Et le bonheur avait foutu le camp parce que comme l'avait un jour dit Ollie, le destin est un putain de connard.
*(bridget ? non, astrée - vingt-quatre ans - sail bay, alabama)
La porte de sa classe s'ouvrit à la volée sur une Olivia manifestement très énervée. Fort heureusement, il y avait plus d'une heure que ses élèves étaient partis et son rendez-vous avec un parent s'était achevé quelques minutes plus tôt. Furieuse, Olivia lâcha son sac sur son bureau et lui jeta un regard noir, mains fermement posées sur les hanches. «
Qu'est-ce que tu as foutu, LeBlanc ? » Il savait très bien ce qu'il avait fait (enfin, pour le coup, non pas entièrement mais il savait de quoi elle parlait) et l'emploi de son nom de famille n'arrangeait rien. Elle était sérieuse et ça ne lui arrivait jamais. «
Je viens d'avoir ta mère au téléphone. Et d'ailleurs pourquoi est-ce que j'ai dû apprendre ta rupture de la bouche de ta mère ? » Parce qu'il avait honte, tellement honte. Il avait encore dans la bouche le goût amer des mensonges qu'il avait servi à Astrée. Il déglutit et baissa la tête pour fuir le regard insistant de sa meilleure amie. «
Gaël, je t'ai posé une question, merde, tu pourrais au moins me répondre ! » D'accord, elle était vraiment furieuse. Il se redressa et croisa brièvement son regard. Non, il ne pouvait pas lui dire. «
J'avais besoin d'être un peu seul » répliqua-t-il et ce n'était même pas vraiment un mensonge. Après la nouvelle qui lui était tombé dessus, il avait eu besoin de prendre un peu de recul. Rompre avec Astrée lui était apparu comme la décision la plus sensée à prendre et, bien sûr, Bridget avait approuvé. Olivia n'aurait pas été du même avis, c'est donc pourquoi il ne lui en avait pas parlé (ni avant, ni après). Et il avait eu raison. Elle l'aurait dissuadé, aurait cherché à savoir le pourquoi du comment et la grossesse de Bridget était encore un secret. Un secret qu'il portait difficilement d'ailleurs et lorsqu'Olivia insista, il ne tint pas longtemps avant de cracher le morceau. «
Wow. Je savais qu'il y avait une raison pour que je ne supporte pas cette fille » souffla-t-elle lorsque Gaël lui eut raconté toute l'histoire. La gorge serrée, il ne parvint même pas à esquisser un sourire devant cette tentative de détendre l'atmosphère. C'était encore trop frais pour qu'il en rigole. «
Et Astrée ? Ce serait pas plus simple de tout lui dire ? » Oh comme elle était naïve. Agacé, Gaël leva les yeux au ciel. «
Et je lui dirais quoi ? "Au fait bébé, il paraît que ta frangine est enceinte et apparemment c'est moi le responsable" ? T'en penses quoi ? J'aurais dû lui annoncer ça devant l'autel peut-être ? » ironisa-t-il, acide. Remuer le couteau dans la plaie était inutile, il ne pouvait pas revenir en arrière. Pas après ce qu'il avait dit à Astrée.